Salut à toi le Québecquois

Michel Vézina, un éditeur musclé

Quand Michel Vézina entre dans l’atelier des curiosités, Salut à toi des Bérurier Noir résonne. Hommage à celui qui fut leur clown dans les années 1980.
Michel Vézina était un acteur important de la scène alternative des années 1980-1990. Mais c’est aussi un clown, un videur de boîte, un critique littéraire, un écrivain et le fondateur de la maison d’édition Coups de tête. Dans son dernier livre, Attraper un dindon sauvage au lasso (Trois-pistoles, 2012), il revient sur son écriture et sur plus de 50 ans de vie, aussi balèze que lui.
L’atelier démarre par les fulgurances d’un Vézina qui raconte ce qu’il vivait enfant: « Ma mère était un peu démente. Elle nous obligeait à lire du Dostoïevski à 14 ans. À 15-17 ans, je me suis dit : ʺNon mais elle est folle ! J’ai envie de faire du sport, de fumer des joints, de manger des acidesʺ… À 8-9 ans, je voulais être clown, écrivain et clochard. J’ai réussi à être les trois, à être ʺun clochard de luxeʺ ».
Dans les années 1980, le jeune gars fait la connaissance des Bérurier Noir : « C’était un vrai flash ! J’ai découvert du vrai rock, chanté en français. » Les Béru sont venus à Montréal, l’ont vu et ont proposé à Michel de venir sur leur tournée. C’est comme cela qu’il devint clown pour plus de 150 concerts. Mais en 1989, les Bérurier Noir s’arrêtent. Michel Vézina a 29 ans, reste à Paris et « (se) prend pour un écrivain ».
« On a le droit de bousiller la langue comme ça pour écrire ? »
Entre deux souvenirs, l’auteur de La machine à orgueil (Québec Amérique, 2008) nous détaille sa vision de

La Machine à Orgueil (Québec Amérique, 2008)

La Machine à Orgueil (Québec Amérique, 2008)

l’écriture : « Je me considère comme un raconteur. Pour ça, il faut avoir vécu. C’est pour ça que j’ai eu des sensations fortes avec les drogues, les bagarres, en étant clown… Un jour, j’ai eu une ʺépiphanie littéraireʺ, je me suis dit: ʺOn a le droit de bousiller la langue comme ça pour écrire ?ʺ À partir de là, il y a eu une franche décision de tourner ma vie vers l’écriture. »
En 1995, l’ancien compère des Bérurier Noir a 40 ans et fonde un théâtre ambulant, Le cochon souriant : « Tu peux faire voler et rattraper des acrobates. Mais quand ça rate plusieurs fois, là ça va plus ! » La voltige s’arrête et laisse place au travail de journaliste et de critique. Une première année dans son village d’origine- Rimouski- puis six ans à Montréal. Lorsque Robert Lévêque, critique redouté et idole de notre invité, est renvoyé, Michel Vézina démissionne : « Je me disais : ʺJe ne sais toujours pas ce que je veux faire quand je serai grandʺ. Un ami m’a alors conseillé de faire de l’édition. J’y pense une nuit entière en écoutant la chanson L’écrivain musclé de Jérémy Mourant et en me disant que je voulais faire une maison d’édition rock, musclée». Coups de tête est née.
« On a écrit la fin du monde. »
La maison d’édition a un nom et son directeur va lui donner un souffle avec Elise (Coups de tête, 2007): « Je voulais faire des livres qui lèvent le regard. Il y a trop d’écrivains qui se grattent le nombril. J’ai eu un geste prétentieux, je me suis autopublié avec Elise, pour donner le ton. » Ce roman d’anticipation a pour décor le Plan Nord : un programme lancé par le gouvernement québecquois pour développer les mines dans le nord du pays. Laurent Chabain en a imaginé la suite avec Luna Park (Coups de tête, 2009). Puis La phalange des avalanches (Coups de tête, 2010) conclue une première trilogie. Zones 5 (Coups de tête, 2010) paraît ensuite comme un insert entre le tome un et deux pour parler d’un nouvel âge d’or de la piraterie. Le Dernier vivant est le dernier roman de la série des Elise, écrit à 10 mains : « On a créé un monstre, d’une tristesse infinie. On a écrit la fin du monde. »

Elise de Michel Vézina (Coups de tête 2007)

Elise de Michel Vézina (Coups de tête 2007)

Michel Vézina ne se contente pas d’avoir écrit la fin du monde. L’acte d’écriture devient défouloir chez lui. Il se vide sur le clavier, comme certains boxent : « L’écriture c’est une logorrhée, un déferlement. Le plus pénible c’est d’enlever ce qui n’est pas nécessaire. L’excédent ça arrache les tripes… Quand je me mets à écrire, c’est 400 pages qui sortent. Après il faut reprendre le tas, c’est là que le vrai travail commence. Personne ne pourrait lire mes premiers jets… Quand vous lisez Hubert Mingarelli chez Buchet Chastel , c’est d’une simplicité, d’une fragilité. C’est une finesse, de l’orfèvrerie ! Je lui ai demandé un jour: ʺMais comment tu fais ?ʺ et il m’a répondu : ʺ Tu sais bien que les seules phrases qui comptent sont celles qu’on enlève.ʺ ».
« Il y a de grands écrivains au Québec. »
Michel termine la soirée en évoquant les auteurs qui lui sont chers. Dany Laferrière vient alors tout de suite dans la conversation avec des livres comme Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer ? (VLB Éditeur,1985) ou Pays sans chapeau (Le Serpent à plumes,1999). Michel cite aussi Tout bouge autour de moi (Mémoire d’encrier, 2010), livre dans lequel « il y a cette idée forte que lorsqu’on est athée, ce sur quoi on repose, la Terre, est ce qu’il y a de plus solide. Donc quand on est allongé et que tout bouge, il n’y a plus rien à croire. »
Dany Laferrière est un haîtien vivant au Québec. Michel Vézina fait le chemin inverse tous les ans. Membre d’un bar associatif à Haïti, il s’est pris de passion pour cette littérature trop méconnue en Europe avec par exemple Frankétienne, Georges Anglade ou Jean-Euphèle Milcé, auteur du livre Les jardins naissent (Coup de tête, 2011).
Mais ce francophone convaincu nous a aussi lâché quelques noms québecquois à lire, en commençant par Victor-Lévy Beaulieu et La Nuitte de Malcolm Hudd (Editions du jour, 1969), Robert Lalonde (publié au Seuil), Nelly Arcan… Denis Vanier et ses Lesbiennes d’acid (Parti pris,1972) figurent dans sa bibliothèque, à côté du Libraire (1960) de Gérard Bessette et de La vieille et pitou (Tête première,2012) d’Alain Ulysse Tremblay. Michel Vézina se nourrit de références aussi diverses que Moby Dick de Melville, Le voyage autour de mon crâne de Frigyes Karinthy (Viviane Hamy, 2008) où de Jean-Patrick Manchette.
En 2102, la maison d’édition Tête première publie le Dictionnaire de la révolte étudiante auquel Michel a participé avec 97 autres auteurs québecquois, comme pour confirmer ce que René Char écrivait dans les

Dictionnaire de la révolte étudiante (Tête Première)

Dictionnaire de la révolte étudiante (Tête Première)

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Salut à toi le québecquois !

F.B.